Newsletter 10 - 🤯 Technology overload : Quel est notre rapport à la technologie ?
Par Ghita El Hajji
Bonjour à tous, je suis Ghita, étudiante à l’ENS. C’est durant mes stages en startups et en VC que j’ai eu envie de créer First-time Founders, un média qui décrypte les dernières tendances dans la tech, le monde du VC et l’entrepreneuriat.
Bonjour à tous !
Je suis Ghita et bienvenue dans la 10ᵉ édition de la newsletter First-time Founders, le média qui démocratise l’entrepreneuriat et la tech.
Deux fois par mois, je propose à mes lecteurs une immersion au sein de l’écosystème tech et entrepreneurial avec des analyses sectorielles, des focus métiers, des réflexions autour de l’entrepreneuriat et bien plus encore.
Let’s go!
Après un mois d’absence, je suis de retour avec un nouveau contenu, qui je l’espère, vous plaira.
Aujourd’hui, je vous propose de comprendre et de repenser notre rapport à la technologie. Le digital est devenu notre manière d’appréhender le monde. De la fascination à la méfiance, notre relation aux nouvelles technologies nourrit nos imaginaires et nos débats au quotidien. Je pense qu’il est nécessaire de mieux la comprendre pour mieux l’appréhender.
👩💻 Enquête : Quel est notre rapport à la technologie ?
L’usage que nous faisons de la technologie impacte négativement notre vie
L’outil technologique est détourné de sa mission initiale
L’idéologie solutionniste est dominante
Nous devons repenser l’innovation technologique dans son ensemble
L’innovation technologique a un coût
L’innovation doit être centrée sur l’usage
Quel est notre rapport à la technologie ?
Ces dernières décennies se sont traduites par une accélération sans précédent des progrès technologiques. L’avancée de la science et l’avènement de l’Internet ont favorisé le développement de la high-tech et de la deeptech qui repoussent les frontières technologiques pour s’attaquer à la résolution de grands défis du XXIᵉ siècle.
Cet essor technique a longtemps porté en lui tous les espoirs. À peine sommes-nous entrés dans l’ère digitale qu’on nous annonce déjà une nouvelle époque, marquée par toujours plus d’innovation technologique qui pourrait à terme résoudre tous les défis de l’humanité. Cette posture, que l’on peut qualifier de techno-optimiste part du principe que la technique qui a sans cesse permis de repousser les limites humaines, y parviendra également pour les questions écologiques, économiques ou sociales.
Toutefois, force est de constater que de nombreux défis majeurs de l’humanité ne trouvent pas de réponse dans l’innovation technologique. Pire encore, l’usage que nous faisons de la technologie n’est pas sans danger pour nos vies.
Pour les observateurs critiques du “tout technologique”, la foi dans l’innovation technique peut être assimilée à une forme de fuite en avant, s’accrochant à l’espoir que la technologie fournira une réponse aux problématiques globales sans remettre en cause nos modes de vie actuels. Ce sont au contraire vers des sociétés du ralentissement, de la sobriété et de la “low tech” qu’il faudrait aller. La low-tech est un terme qui désigne les technologies rudimentaires au sens propre et les solutions simplifiées et accessibles au plus grand nombre au sens plus large.
Le débat entre ces deux positions antinomiques pose la question de notre rapport à la technologie et de l’usage que nous en faisons.
L’usage que nous faisons de la technologie impacte négativement notre vie
La technologie semble avoir pris le dessus sur nos vies à bien des égards. En effet, nous utilisons aujourd’hui la technologie de manière déraisonnable, irréfléchie et absurde. Nous manifestons un manque de jugement dans l’usage de ces nouveaux outils, ce qui entraine des impacts négatifs sur différents pans de nos vies.
L’outil technologique est détourné de sa mission initiale
Les réseaux sociaux ont été créés initialement pour faciliter la communication avec ses amis ou ses proches mêmes lorsqu’ils habitent loin, pour partager plus facilement ses centres d’intérêt ou encore pour se tenir au courant de ce qui se passe dans le monde. Ils deviennent aujourd’hui source d’isolement social, d’anxiété et de dépression. Selon les résultats d’une récente enquête de la BBC menée auprès de plus de 55000 participants, les jeunes se sentent plus seuls que les autres catégories de la population. Quelques 40% des 16-24 ans déclarent ainsi se sentir souvent ou très souvent seuls. Pourtant, nous disposons de plus de moyens que jamais pour communiquer.
Comment peut-on expliquer les résultats de ce sondage ?
Une étude menée par Shakya et Christakis en 2017 montre que le bien-être diminue à la fréquentation de Facebook. Cette baisse du bien-être, les chercheurs l’attribuent à un phénomène en particulier : Facebook nous incite à nous comparer aux autres, mais à des autres qui mettent en scène leur vie sous le jour le plus favorable. D’où une érosion de notre estime de soi, qui produit une forme de mal être. Les chercheurs concluent également que c’est la quantité passée sur les réseaux sociaux et non pas la qualité de l’usage qui agit sur notre bien être. Les réseaux sociaux nous permettent certes de socialiser, mais ils ne se substituent pas au regard de notre bien-être à des relations physiques réelles.
D’autre part, nous avons tendance à oublier que la technologie n’est qu’un moyen parmi tant d’autre pour parvenir à nos fins et non pas une fin en soi. Elle doit être utilisée pour répondre de manière efficiente aux problèmes rencontrés par les êtres humains.
En 2017, Deloitte avait publié un rapport intitulé Understanding the Productivity Paradox qui cherchait à expliquer pourquoi la productivité stagne, ou même baisse, malgré l’émergence de nombreuses nouvelles technologies depuis les années 1990. On pourrait intuitivement s’attendre à ce que le boom technologique et les innovations croissantes dont nous avons été témoins au cours des deux ou trois dernières décennies augmentent la productivité du travail. Cependant, les principales mesures de la productivité suggèrent le contraire. Il semble que les organisations ne s'adaptent pas suffisamment vite à ces évolutions. Elles font usage de ces technologies de façon déraisonnable sans que la culture, les comportements et les compétences ne suivent le rythme.
Les entreprises devraient analyser de manière critique les facteurs fondamentaux de création valeur au sein de leur organisation avant de se lancer dans une révolution numérique. Elles doivent trouver les solutions pertinentes aux problèmes organisationnels rencontrés, qu’elles soient traditionnelles ou technologiques. La création de valeur ne réside pas dans le fait d’utiliser plus/les dernières technologies, mais plutôt dans le fait d’appliquer systématiquement des solutions pertinentes et qui ont du sens.
Une idéologie solutionniste dominante
Aujourd’hui, les technologies numériques sont désignées comme les instruments de lutte contre tous les problèmes de l’humanité.
Dans son livre “To Save Everything, Click Here : Technology Solutionism, and the Urge to Fix Problems That Don’t Exist” publié en 2013, Evgeny Morozov développe la notion de “solutionnisme technologique” pour expliquer comment chaque problème humain est systématiquement transformé en question technique, puis discuté par les acteurs du numérique privés ou publics, qui proposent des solutions numériques dont le but est de traiter les effets des problèmes sans jamais s’intéresser à leurs causes. En d'autres termes, le solutionnisme serait cette idéologie selon laquelle il faudrait apporter des réponses technologiques et résoudre des problèmes avant même que les questions n'aient été entièrement posées et souvent même sans que les prétendus problèmes en soient réellement.
Ainsi, l’angoisse de la décision devient un problème tout simplement parce que nous avons les outils pour nous en débarrasser et non parce que ce que nous en aurions pesé tous les avantages et inconvénients philosophiques. Ce qui fait controverse n’est pas tant la solution proposée, mais la définition du problème lui-même. En effet, l’angoisse de la décision n’est pas qu’un problème, elle peut aussi contribuer à notre maturité en tant qu’être humain. La technologie veut supprimer tous les tourments de l’existence, tous les obstacles qui imposent des limites à la condition humaine alors même que ce sont des éléments constitutifs de la liberté de l’homme.
D’autre part, l’idéologie solutionniste a tendance à voir tous les problèmes comme des problèmes technologiques. Pourtant, il n’existe pas une solution technologique à tous les problèmes humains que nous rencontrons.
Dans un éditorial daté d’octobre 2012 intitulé “Pourquoi ne savons-nous pas résoudre les grandes problèmes” Jason Pontin, rédacteur en chef de MIT Technology Review explique qu’“Il n’est pas vrai de dire que nous ne pouvons pas résoudre les grands problèmes par la technologie : nous le pouvons. Mais tous ces éléments doivent être pris en compte : les dirigeants politiques et le public doivent vouloir résoudre le problème, nos institutions doivent soutenir les solutions, il doit réellement s’agir d’un problème technologique et nous devons le comprendre.” Pour résoudre les problèmes, il faut aussi prendre en compte d’autres considérations économiques, sociologiques et politiques influant sur la prise de décision. Ainsi, certains problèmes comme la famine dans le monde résistent, car ils ont avant tout une origine politique. D’autres problèmes de société qu’ils soient environnementaux ou sociaux n’ont jamais été résolus, aussi parce que les acteurs du capital-risque n’accorde que peu d’intérêt aux innovations technologiques qui s’y attellent et qui sont sans rentabilité immédiate.
Le solutionnisme qui a pour ambitieux de résoudre tous nos problèmes à l’aide de la technologie, non seulement ne les résout pas, mais entraine des raccourcis futuristes qui ne règlent en rien le problème en lui-même. Dans son article “Welcome to the Hybrid Age” publié en 2012, deux chercheurs, Ayesha Khanna et Parag Khanna décrivent des lentilles de contact intelligentes qui permettraient aux piétons de NewYork ou de Munbai qui ne souhaitent pas voir de sans-abri de les supprimer de leur vue en temps réel. Non seulement cela ne permet pas de contrer le problème des sans-abris mais nous empêche également de développer de l’empathie pour notre prochain.
Nous devons repenser l’innovation technologique dans son ensemble
Il est peu probable de sortir des sociétés technologiques contemporaines et de “détechnologiser” le monde, mais nous pouvons replacer la technologie à sa juste place et revoir la façon dont sont pensées les innovations pour pouvoir en faire un usage raisonnable, réfléchi et qui ne crée pas plus de problèmes qu’il n’en résout.
L’innovation technologique a un coût
Le film Ready Player One réalisé par Steven Spielberg illustre parfaitement l’avenir d’un monde où la technologie prendrait le dessus. Le récit se déroule en 2045, dans un monde au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans un metaverse du nom de l’OASIS, un univers virtuel partagé créé par la convergence de la réalité physique virtuellement améliorée et de l’espace virtuel physiquement persistant. Cet espace ressemble en tout point au monde réel et héberge une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars pouvant s’y déplacer, y interagir socialement et économiquement. Dans cette dystopie, personne n’existe à proprement parler dans la réalité et la technologie qui était un outil au service de l’amélioration de notre réalité nous coupe au contraire du monde réel. Les sciences et les nouvelles technologies ne sont plus au service du progrès, mais sont utilisées sans limites et contribuent à l’avènement d’une société plus totalitaire, moins respectueuse de l’être humain.
Ready Player One n’est qu’une œuvre parmi tant d’autres qui nous permet de réfléchir au coût de l’utilisation parfois abusive et déraisonnable de la technologie.
Les risques éthiques, sanitaires et environnementaux des nouvelles technologies sont très nombreux. Car que seront demain nos libertés fondamentales alors que notre courrier électroniques et nos conversations téléphoniques peuvent déjà être écoutées par des agences spécialisées comme la NSA américaine ? Qu’en sera-t-il de notre liberté de nous déplacer alors que nous sommes en permanence géo-localisables grâce à nos smartphones ou nos cartes bancaires ? Et quel est l’avenir de nos démocraties alors que les GAFA sont devenues de vrais “entreprises-états” hors de contrôle et se soustrayant à leurs obligations contributives ?
Toute technologie est ambivalente et génère à la fois des externalités négatives et positives, mais dans ces circonstances, les choix deviennent extrêmement complexes : faut-il accepter que l’intelligence artificielle évalue des affaires judiciaires de façon plus rapide et plus efficace même si cela implique que les décisions puissent être inexactes ou donner lieu à des résultats discriminatoires ? faut-il ubériser tous les secteurs de l’économie si cela implique d’exploiter une main d’œuvre peu chère ?
Pour être capable de faire les bons choix, il est nécessaire de prendre conscience des risques qu’implique la technologie. Décomplexifier les technologies et comprendre ce que leur utilisation implique permet de les replacer à leur juste place pour mieux les utiliser et pour prioriser les enjeux qu’elles visent à résoudre.
L’innovation doit être centrée sur l’usage
Trop nombreux sont les systèmes à avoir vu le jour en fonction des technologies qu’ils comportent et non des besoins opérationnels auxquels ils pourraient répondre.
Le plus souvent lorsque l’on évoque une innovation de produit ou de service, on insiste d’abord sur son aspect technologique et ses caractéristiques techniques, mais l’on s’attarde beaucoup moins à jauger sa capacité à résoudre un véritable besoin des utilisateurs. Il faut pourtant bien partir « de l’usage » ou « des usages » afin de développer une innovation, puis dans un second temps choisir la technologie adaptée, et non l’inverse.
Une innovation n’est pertinente que si elle est centrée sur l’usage. Elle doit pouvoir servir un objectif économique (baisser les coûts), pratique (faire gagner du temps, simplifier le quotidien) ou fonctionnel (améliorer la satisfaction). Ce dernier point peut être sujet à débat, car sous couvert de vouloir améliorer la satisfaction de l’utilisateur, l’innovation peut vite devenir “inutile” dans le sens ou elle n’œuvre pas pour la résolution pragmatique d’un besoin utilisateur clairement identifié.
L’application Ghost Radar Classic en bien l’exemple d’une innovation amusante mais “inutile”. Cet outil permet d’analyser les champs d’énergie dans l’environnement et d’enregistrer l’activité paranormale pour confirmer ou non la présence de fantômes dans votre entourage. Cette application a été téléchargée des dizaines de millions de fois sur iOS et Android et a probablement amusé de nombreux personnes, mais à quel besoin répond-elle ? Ne contribue-t-elle pas au contraire à créer un besoin qui n’existaient pas au préalable ?
Ces interrogations posent d’autres questions. Où placer le curseur entre une innovation d’usage et une innovation “inutile” ? Quel référentiel utiliser pour déterminer l’utilité d’une innovation par rapport à une autre ?
Le concept de design thinking s’inscrit dans cette vision de l’innovation, centrée sur l’utilisateur, par l’identification de difficultés que peut avoir un utilisateur dans son quotidien ou son environnement. Cette méthode procède par itération et expérimentation afin de confirmer ou d’infirmer une hypothèse de départ. L’objectif du Design Thinking est d’aboutir à la création de produits ou de services qui répondent à un besoin sur le marché.
Conclusion
Après une phase initiale d’enthousiasme autour des promesses des développements technologiques, on assiste aujourd’hui à un cycle de prise de conscience, voire de défiance à mesure que se diffusent les innovations. L’innovation technologique a constitué un moteur central du progrès humain, mais l’usage déraisonnable que nous en faisons impacte négativement nos vies.
L’innovation technologique polarise des positions particulièrement clivés : d’un côté l’optimisme technologique, qui suggère un dépassement des limites de la technologie par la technologie, de l’autre, une défiance technologique appelant à une “détechnologisation” du monde.
Ce débat antinomique pose la question de notre rapport à la technologie. Puisque la technologie est de plus en plus présente dans nos vies, il n’est pas envisageable de “détechnologiser” le monde. Toutefois, il n’est pas non plus possible de continuer dans un monde du “tout technologique” au vu des risques que cela implique.
La solution réside peut-être dans le fait de réfléchir à la technologie en termes de coût et d’usage. C’est un chantier énorme qui ne peut être pensé indépendamment d’un changement culturel, social, de politique et de gouvernance, afin de se projeter dans un hypothétique futur technologique commun et sous contrôle.
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Merci à Mehdi et Ghita pour la relecture !
À dans deux semaines !
Ghita