Newsletter #13 - Faut-il lever des fonds ou bootstrapper sa startup ? Mon avis sur la question du moment
Par Ghita El Hajji
Bonjour à tous, je suis Ghita, étudiante à l’ENS. C’est durant mes stages en startups et en VC que j’ai eu envie de créer First-time Founders, un média qui décrypte les dernières tendances dans la tech, le monde du VC et l’entrepreneuriat.
Bonjour à tous !
Je suis Ghita et bienvenue dans la 13ème édition de la newsletter First-time Founders, le média qui démocratise l’entrepreneuriat et la tech.
Deux fois par mois, je propose à mes lecteurs une immersion au sein de l’écosystème tech et entrepreneurial avec des analyses sectorielles, des focus métiers, des réflexions autour de l’entrepreneuriat et bien plus encore.
Let’s go!
Au sommaire cette semaine :
🎤L’épisode 18 de First-time Founders avec Alexandre Berriche, le CEO et cofondateur de Fleet, une startup française spécialisée dans la location d’ordinateurs pour TPE/PME.
💸 Faut-il lever des fonds ou bootstrapper sa startup ? Mon avis sur la question du moment
Le culte de la levée de fonds
Pourquoi lever auprès de VCs n’est pas toujours la bonne solution ?
Pourquoi bootstrapper sa boite est parfois la bonne solution ?
Entre bootstrapper sa boite et lever de l’argent auprès de VC, que choisir ? et comment l’entrepreneur peut choisir la bonne stratégie à adopter ?
First-time Founders : L’épisode 18 est disponible !
Pour cet épisode, j’ai eu le plaisir d’accueillir Alexandre Berriche, le cofondateur et CEO de Fleet.
Dans cet épisode nous allons parler :
👨💻 Du parcours d'Alexandre, de ses nombreuses expériences en startups et de son choix de se tourner vers l'entrepreneuriat.
💻 De la genèse de Fleet, de son avancement et de sa vision.
💸 De sa décision de ne pas lever de fonds pour le moment.
💲 De son activité d'investisseur.
🔑 Des difficultés qu'il a pu connaitre, notamment durant le confinement.
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Faut-il lever des fonds ou bootstrapper sa startup ? Mon avis sur la question du moment
En février dernier, Guillaume Moubeche, le patron de Lemlist, une startup qui a développé un outil permettant de réaliser des campagnes de prospection par mail automatisées et personnalisées a fait le buzz en publiant une vidéo dans laquelle il assurait avoir refusé une levée de fonds de 30 millions d’euros, dont 15 millions destinés directement aux trois cofondateurs. Cette vidéo a complètement relancé le débat levée de fonds vs le bootstrapping dans le paysage entrepreneurial français.
Depuis quelques années maintenant, nombreux sont les entrepreneurs à partager leur expérience du bootstrapping, en montrant qu’une croissance stable et durable sans financement extérieur était possible. Ils sont aussi plusieurs à partager leur désillusion à l’égard du VC, entre ingérence, problèmes de gouvernance et ambition démesurée et dangereuse. Lever des fonds n’apparait donc plus aux yeux de tous comme l’unique façon de construire une entreprise à succès.
Dans cette newsletter, je vous partage mon avis sur la question en vous montrant que ces deux modes de financement ne sont pas forcément antinomiques et que ce débat pose surtout la question de notre façon de concevoir le succès d’une entreprise.
Le culte de la levée de fonds
Les levées de fonds se sont multipliées depuis quelques années. Le capital est de plus en plus accessible et les montants des tours de table ne cessent d’augmenter en taille chaque année. Ainsi, depuis le début de l’année, 18 startups françaises ont levé plus de 50 millions d’euros contre 8 l’année dernière à la même période.
De plus en plus d’entrepreneurs ont donc non seulement l’opportunité de créer leurs entreprises sans capital de départ, mais aussi les moyens de réaliser leurs ambitions professionnelles les plus folles pour atteindre peut-être un jour le statut de licorne, décacorne ou multi-billion dollars company.
Cependant, on a tendance à considérer que les entreprises qui lèvent des sommes importantes sont des entreprises à succès. Dans la tête de nombreuses personnes, succès rime avec levée de fonds et la levée de fonds devient donc la stratégie à adopter dans 100% des cas. Deux facteurs peuvent expliquer à mon sens ce phénomène :
La médiatisation croissante des levées de fonds : Les levées de fonds font les gros titres chaque jour, les membres du gouvernement et le président en personne mettent constamment en avant les entreprises qui lèvent plusieurs millions d’euros et les classements qui sélectionnent les startups en fonction des levées de fonds effectuées se multiplient (Next40, FT120…)
Le développement de la pensée unique qui assimile toute forme d’entrepreneuriat au modèle de la startup : L’entrepreneuriat n’est pas réservé aux seules startups. Il existe différents types d’entrepreneurs et d’entrepreneuriat. En oubliant cela, on tombe dans le mythe dangereux de la scalabilité qui nécessite des modalités d’accompagnement et de financement bien particulières alors même que cela ne correspond pas forcément à tous les entrepreneurs.
En somme, même si la capacité d’une startup à convaincre des investisseurs du bien-fondé de son modèle économique est un indicateur important de ses performances financières actuelles ou futures, ce critère n’est pas suffisant pour conclure levée de fonds = réussite. Les exemples de startups qui ont levé plusieurs centaines de millions d’euros et qui ont fini par échouer ne manquent pas. Quibi est d’ailleurs l’un des exemples les plus marquants de ces derniers mois. Le service de streaming de vidéos courtes lancé par Jeffrey Katzenberg a fermé ses porte seulement six mois après son lancement. L’entreprise avait levé plus d’un milliard de dollars et bénéficiait du soutien des principaux studios hollywoodiens dont Disney, NBCUniversal, Sony et Warner.
Lever auprès de VCs n’est pas toujours la bonne solution
Lever des fonds auprès de VCs présente beaucoup d’avantages :
La trésorerie permet d’accélérer, de passer rapidement à l’échelle, de recruter les meilleurs talents tout en satisfaisant leurs attentes en matière de rémunération, de pouvoir rémunérer les fondateurs, de gagner du temps car on peut tester des choses, se tromper et itérer…
Le réseau du fonds est très important pour l’entreprise. Les contacts du VC sont tout autant de potentiels partenaires, professionnels, clients ou fournisseurs.
L’accompagnement offert par le fonds permet non seulement à l’entreprise d’accélérer au niveau opérationnel, mais aussi au niveau stratégique avec un board qui challenge les idées des fondateurs, permet de prendre du recul et aide à construire une vision stratégique.
L’attention médiatique, la crédibilité auprès de partenaires professionnels, l’effet de levier auprès des banques, la sécurité financière…
Certaines entreprises lèvent de l’argent parce qu’elles sont à la recherche de leur business model ou ont un business model qui ne leur permettra pas d’être rentables à court terme. D’autres, cherchent à révolutionner des marchés ancestraux comme celui de la banque ou de l’assurance. Enfin, certaines sont rentables, mais cherchent à attaquer un nouveau marché et à en devenir le leader incontesté. Dans ces cas-là, lever des fonds est justifié et les startups ne peuvent que difficilement réussir sans.
Toutefois, toutes les entreprises ne sont pas compatibles avec un financement par capital-risque :
Celles qui adressent un marché restreint où les multiples de sorties ne sont pas intéressants pour les fonds d’investissement.
Celles qui opèrent sur un marché encombré où il est très difficile de scaler et de prendre des parts de marché.
Celles qui adressent une niche ou qui répondent à un besoin très spécifique et difficilement reproductible.
Les entreprises avec une forte composante locale.
Celles qui ne souhaitent tout simplement pas ouvrir leur capital à un fonds d’investissement.
Bootstrapper sa boite peut parfois être la bonne solution
La levée de fonds n’est donc pas la stratégie à adopter dans 100% des cas. Une pratique de plus en plus courante chez les entrepreneurs est l’autofinancement ou le bootstrapping. Cette stratégie consiste à se débrouiller par ses propres ressources et les flux de capital générés par son business pour financer le développement de son entreprise.
L’autofinancement présente de nombreux avantages :
On garde son equity : La levée de fonds entraîne une forte dilution des fondateurs qui empochent donc moins d’argent à la sortie.
On garde le contrôle de sa société : La levée de fonds entraîne une moins grande autonomie dans la gestion de l’entreprise, car il faut rendre des comptes aux autres actionnaires. Les investisseurs ont aussi un poids non négligeable dans la prise de décision.
On évite une divergence des intérêts et des attentes qu’il peut parfois y avoir entre l’entreprise/l’entrepreneur et les investisseurs :
Les investisseurs ont tendance à être dans une logique de plus court terme que l’entrepreneur et ont des contraintes de liquidités différentes. Les besoins de sortie des investisseurs peuvent entraîner la vente de l’entreprise à moyen terme alors que ce n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux pour l’entreprise. A contrario, les investisseurs peuvent pousser l’entrepreneur à ne pas vendre son entreprise si le montant de l’exit ne les satisfait pas. Le Huffington Post aurait été acheté pour 314 millions de dollars, et Arianna Huffington aurait gagné environ 18 millions de dollars. Michael Arrington a vendu TechCrunch au même acheteur pour 30 millions de dollars et aurait empoché 24 millions de dollars. Pour un VC, la vente de TechCrunch aurait été une "perte", et de nombreux investisseurs auraient poussé Michael à ne pas vendre. Pourtant, Arrington a eu financièrement plus de succès que Huffington. “VCs need billion dollar exits, you don’t”
Les investisseurs connaissent moins bien la réalité du terrain et peuvent parfois exercer beaucoup de pression sur l’entrepreneur pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.
Il peut y avoir des erreurs d’alignement de valeurs entre le fonds et l’entrepreneur.
On contrôle sa croissance : Lever trop tôt peut entraîner de sérieux problèmes organisationnels (dépenser trop d’argent, mal gérer les recrutements…). Avec le bootstrapping, la croissance est saine et mesurée.
On évite les problèmes de gouvernance : Si l’investisseur peut être un excellent conseiller du fait de son expérience de situations et de secteurs variés, il peut aussi être un véritable poids mort pour l’entreprise.
On reste focus sur le business : Une levée de fonds est extrêmement chronophage, elle peut prendre de 6 mois à 1 an et c’est un job à temps plein pour au moins l’un des cofondateurs. Pendant ce temps-là, il ne peut se concentrer à 100% sur le cœur de son business. Après la levée, certains fondateurs, au lieu de se concentrer sur le produit, font des reportings aux investisseurs et préparent la levée suivante.
On prend le temps d’itérer sur le produit : Certains entrepreneurs se lancent dans une levée de fonds avant de se confronter au marché. On peut construire un produit scalable après les itérations sur des clients et lever plus facilement après quand on est sûrs d’avoir trouvé le bon product-market fit.
De nombreuses entreprises ont réussi à devenir des acteurs de référence dans leur domaine en se bootstrappant totalement ou partiellement. Il suffit de regarder du côté de Wayfar, Braintree, Shutterstock, SurveyMonkey, Shopify, Lynda, GitHub, Atlasssian, MailChimp, Epic, Minecraft, Unity ou encore CarGurus pour comprendre que réussir en se bootstrappant est possible. Toutes ces startups ont pris le temps de prouver leur product-market fit et d’apprendre à utiliser l’argent de manière saine pour croître de manière saine avant de lever auprès de VCs. Certaines comme Mailchimp n’ont encore jamais levé.
Pour mieux illustrer mes propos, je vous propose de prendre les exemples de Wayfair et Zappos.
Wayfair est une entreprise américaine de commerce en ligne spécialisée dans les produits de la maison fondée en 2002. Elle ouvre son capital à des investisseurs en Private Equity pour la première fois en 2011 après des années de bootstrapping. L’entreprise s’est développée pendant des années sans capital extérieur jusqu’à atteindre un chiffre d’affaires de plus de 500 millions de dollars. En 2014, Wayfair fait alors son entrée au NYSE atteint une valorisation de près de 7 milliards de dollars en 2018. Au moment de l’introduction en bourse de l’entreprise, les fondateurs possédaient 29% des parts.
Zappos est une entreprise de vente de chaussures par Internet, fondé en 1999 par l’emblématique Tony Hieh et revendue à Amazon en 2009 pour 1,2 milliard de dollars. Zappos lève très rapidement de l’argent pour atteindre un total de fonds levés d’un peu plus de 60 millions de dollars avant son acquisition. Au moment de la vente, Tony Hsieh n’empoche “que” 214 millions de dollars.
En d’autres termes, en créant une entreprise exceptionnellement capital-efficient et en ne levant des fonds que lorsqu’il était temps pour eux de développer leur activité et d’investir dans une entreprise qui était déjà grande et saine, les cofondateurs de Wayfair ont gagné près de 10 fois plus que Hsieh. Wayfair a d’ailleurs levé bien plus que Zappos.
En France, des entreprises comme Selectra, Staycation, Superprof ou encore Veepee ont également choisi de s’autofinancer. Créé en 2001, Veepee n’a choisi de faire rentrer un fonds à son capital qu’en 2007, après des années de bootstrapping qui lui ont permis de poser les fondations d’une entreprise saine qui fait partie aujourd’hui du cercle prestigieux et très restreint des licornes françaises.
Entre bootstrapper sa boite et lever de l’argent auprès de VC, que choisir ?
Les fondateurs doivent garder à l’esprit que la voie du VC n’est peut-être pas la meilleure solution pour eux et que bootstrapper sa boite ou trouver d’autres moyens de financement s’avère parfois être plus sain.
Pour pouvoir adopter la bonne stratégie, il faut prendre le temps de se poser les bonnes questions. En early stage, les cofondateurs ont tendance à avoir le nez dans le guidon : ils doivent exécuter beaucoup de tâches et apprendre sur le tas. Ils risquent alors d’oublier de se poser ces questions fondamentales pour créer des bases saines et solides à leur business :
Sur leurs aspirations, leur vision de l’entreprise
Leur objectif est-il de construire et de développer une entreprise qui croît très rapidement au prix d’une certaine perte de contrôle en cours de route ? Ou préférent-ils construire une entreprise dont la croissance n’est pas aussi rapide mais qui est à 100% contrôlée par l’équipe fondatrice ?
Sont-ils conscients des contraintes que cela implique de faire rentrer un fonds au capital de son entreprise ? Est-ce que les avantages compensent les inconvénients ?
Est-ce que les objectifs de tous les cofondateurs sont alignés ?
Sont-ils prêts à prendre le temps de construire le bon produit, de trouver le bon product-market fit et d’atteindre les premiers jalons d’une mise à l’échelle avant de lever des fonds ?
Sur leur business
Peuvent-ils monétiser rapidement leur offre ?
Ont-il besoin de beaucoup d’argent pour construire la première version de leur produit ? (Exemples : biotechnologie, hardware…)
Est-ce que l’acquisition de clients nécessite beaucoup de cash ?
Le marché cible est-il de niche ou global ? Le marché est-il concurrentiel ? Si oui, est-ce que l’entreprise dispose d’un avantage concurrentiel .
Je tiens à souligner que la voie du capital-risque n’est pas meilleure ou plus prestigieuse que celle du bootstrapping. C’est une erreur de penser que ne pas lever c’est vouloir rester uniquement français ou manquer d’ambition. Certaines entreprises choisissent tout bonnement de financer leur croissance, cela prend simplement plus de temps.
Si l’entrepreneur crée une entreprise qui nécessite de lever un montant important de capitaux, il devrait le faire. Dans le cas contraire, je pense qu’il devrait avant tout se concentrer sur la création d’un bon produit et la signature des premiers clients. C’est le seul objectif à mon sens qui vaille la peine d’être poursuivi. Lever des fonds parce que l’on peut lever est la pire raison qui soit. Chaque euro levé est un euro de dillution. Si l’entrepreneur ne trouve pas un moyen de multiplier au moins par trois l’effet de levier de chaque euro, il ne devrait pas lever des fonds.
L’argent des VCs est un outil utile qui, placé entre de bonnes mains, peut aider à construire et développer de très grands projets. Toutefois, ce n’est pas un puits de ressources magiques et infiniment renouvelables. Comme on a pu le voir précédemment, lever des fonds de manière irrationnelle pour développer un projet qui ne fonctionne pas ne permet pas de construire une “multi-billion dollars company”.
Enfin, je pense que la levée de fonds ne doit pas être la mesure absolue de la réussite dans l’entrepreneuriat. Pour La Boussole, une communauté de près de 80 accompagnateurs de startups et de jeunes entreprises, et le BCG, il existe d’autre grilles de lecture du succès des entreprises que la course au tour de table financier le plus élevé. Pour évaluer la qualité d’une startup et ses chances de prospérité, La Boussole et le BCG proposent un nouvel outil qui retient une douzaine de critères regroupés en quatre grandes catégories :
Les performances financières
L’impact sociétal
L’innovation : nouveaux produits ou modèle économique disruptif
La gouvernance responsable
Ces méthodes d’évaluation redéfinissent notre façon de concevoir le succès d’une startup.
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Ghita