Newsletter #14 - Le sexe à l'ère du numérique
Bonjour à tous, je suis Ghita, étudiante à l’ENS. C’est durant mes stages en startups et en VC que j’ai eu envie de créer First-time Founders, un média qui décrypte les dernières tendances dans la tech, le monde du VC et l’entrepreneuriat.
La révolution numérique est désormais partout et même dans les tréfonds de notre intimité. Les nouvelles technologies impactent profondément notre rapport au sexe. Le confinement, en particulier, a fortement influencé nos désirs et nos comportements sexuels et a contribué à libérer la parole autour de la sexualité. Les marques de bien-être sexuel, les sextech, ainsi que les célébrités qui les soutiennent ont grandement encouragé les langues à se délier autour de ces sujets encore tabous. Leur communication qui prône l’acceptation de soi, de son corps et de sa sexualité a accéléré la démocratisation de la masturbation féminine et du bien-être sexuel sous toutes ses formes. Les sextoys et autre objets intimes se vendent aujourd’hui plus que jamais.
Mais alors, comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est à cette question que je tente de répondre dans cette édition :
Comment la sexualité des femmes se démocratise-t-elle ?
Qu'est-ce que la sextech ? Quelle est la taille du marché actuel ?
Pourquoi des tabous continuent-ils d'entourer ce sujet ? Comment ce secteur se normalise-t-il auprès des investisseurs ?
La sexualité des femmes : un sujet de plus en plus démocratisé
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment des produits autrefois considérés comme inconvenants, vendus dans sex-shops miteux, et qui sont encore criminalisés dans de nombreux pays dont la Malaisie, l'Iran et l'État américain de l'Alabama, sont-ils devenus des produits sur lesquels des personnalités publiques veulent bien apposer leur nom ?
Internet a offert un espace de parole libre à tous ceux qui n’avaient traditionnellement pas le droit de s’exprimer et a permis de mettre en lumière des sujets autrefois obscurs comme la masturbation, la ménopause, les menstruations ou encore les poils.
Le sexe n’est plus le sujet embarrassant qu’il était autrefois. Et ça, beaucoup de femmes semblent l’avoir compris. Elles sont d’ailleurs à l’origine de la plupart des innovations dans le domaine de la sexualité. Elles pénètrent cet espace autrefois réservé aux hommes pour concevoir des produits pour elles-mêmes. Une nouvelle génération d’entreprises dirigées par des femmes et pour les femmes est née.
En 1953, le chercheur en sexologie Alfred Kinsey a constaté que seulement 62% des femmes aux USA déclaraient s’être masturbées contre 92% des hommes. Plus de 60 ans plus tard, un rapport mondial sur la masturbation a révélé que 92% des hommes américains se masturbent, un chiffre identique à celui de 1953. Chez les femmes, l’augmentation est plus nette, puisqu’elles sont 76% à déclarer se masturber.
Plus généralement, on assiste à une meilleure considération de la sexualité et du plaisir féminins. Eva, le nouveau sextoy créé par Dame Products et dédié au plaisir féminin illustre ce changement. Les deux femmes à l’initiative de ce projet, Alexandra Fine et Janet Lieberman, sont parties d’un constat très simple : 70% des femmes auraient besoin d’une stimulation clitoridienne pour atteindre l’orgasme durant un rapport sexuel. Elles ont donc décidé de créer un produit qui permette cette stimulation pendant le coït. La campagne de crowdfunding lancée a rencontré un succès fulgurant : plus de 575 000 dollars recueillis sur un objectif initial de 50 000 !
Les choses changent enfin et ces produits commencent à se démocratiser. Les sextoys ont fait peau neuve et sont désormais disponibles chez les distributeurs de produits de beauté comme Cult Beauty ou les sites de vêtements comme Free People. Des marques comme Lelo, Maude et Puissante fabriquent des produits luxueux. De nombreuses célébrités comme Lily Allen ou Cara Delevigne créent leurs propres sextoys ou s’associent à des marques pour y apposer leur nom. Des marques plus traditionnelles commencent à parler ouvertement de sexualité. Gucci sponsorise par exemple la nouvelle saison du podcast “The Sex Ed”.
Mais alors, que designe-t-on exactement par sextech ?
Le marché de la sextech et du bien être sexuel : un marché gigantesque
Le terme sextech designe toutes les technologies conçues pour améliorer l’intimité. Selon l’organisation Future of Sex, l’ensemble de ces nouvelles technologies peuvent être regroupées dans 4 catégories :
Remote Sextech : cette catégorie regroupe toutes les innovations multisensorielles et immersives utilisées pour améliorer l’intimité entre deux partenaires à distance (sextoys télécommandés, Skype, Facetime, Kissinger…).
Virtual Sextech : cette catégorie comprend toutes les technologies qui permettent d’apprendre et d’explorer sa sexualité. La startup américaine OMGyes utilise par exemple les écrans tactiles pour apprendre aux femmes à atteindre l’orgasme. En France, Climax démocratise la masturbation féminine avec sa série éducative qui enseigne les méthodes essentielles pour recevoir et donner plus de plaisir.
Robotics & AI : cette catégorie comprend tous les robots, sextoys, gadgets et humanoïdes intégrant un véritable concentré de technologie (biomimétisme, IA, VR…). Autoblow AI développe un sextoy pour homme censé prodiguer la meilleure fellation avec l’aide d’une intelligence artificielle. L’équipe d’ingénieurs a élaboré son IA en fonction de 1200 vidéos pornographiques. D’autres entreprises ont choisi d’investir le créneau des robots sexuels. Realbotix a conçu Harmony, un robot sexuel hyperréaliste et personnalisable capable de simuler une vraie relation sexuelle. Enfin, je vous laisse voir cette vidéo promotionnelle (quelque peu perturbante) de la Gatebox, un personnage virtuel en hologramme qui fait office d’assistant domotique et de partenaire de vie pour célibataire isolé.
Augmentation : cette catégorie regroupe toutes les technologies qui permettent de dépasser les limitations sexuelles infligées par une blessure ou une maladie et peut-être même à terme celles imposées par la biologie. Morari Medical conçoit par exemple un patch connecté permettant de lutter contre l’éjaculation précoce grâce à la neuromodulation. La startup Lioness développe quant à elle un vibromasseur qui enregistre au sein d’une application les données récoltées pendant l’orgasme dans le but d’offrir une expérience utilisateur enrichie et améliorée grâce à des conseils personnalisés. On pourrait imaginer dans quelques années la création d’implants interconnectés qui offriront des possibilités incroyables aux personnes souhaitant fusionner avec des machines pour devenir des cyborgs sexuels.
Plus globalement, le marché mondial du bien-être sexuel a explosé, passant de 23 milliards de dollars en 2014 à 75 milliards de dollars en 2019, et il devrait atteindre 108 milliards de dollars d’ici à 2027, selon un rapport publié par Allied Market Research. Les sextoys représentaient environ deux cinquièmes du marché mondial en 2019. Les confinements successifs ont largement favorisé l’augmentation des ventes de ces jouets qui rencontrent un succès fou, notamment auprès des jeunes.
Les produits destinés aux femmes représentaient 30,5 milliards de dollars en 2019 et ce chiffre devrait augmenter pour atteindre 42,9 milliards de dollars d’ici à 2027 avec un taux de croissance annuel composé de 4,2%. La croissance de la population féminine, l’éducation sexuelle et la sensibilisation à la santé sexuelle sont des facteurs qui stimulent la croissance de ce segment.
D’autres facteurs peuvent également expliquer cette accélération de la recherche du plaisir intime :
Facteurs sociaux et culturels : assouplissement des lois, baisse de la religiosité, prolifération des contraceptifs, progrès des connaissances en matière de sexualité, mouvement féministe, visibilité croissante des populations LGBTQI+.
Facteurs économiques : augmentation du pouvoir d’achat de la classe moyenne, le bien-être sexuel est de plus en plus reconnu comme partie intégrante du bien-être.
Avancées technologiques : plus de talents rejoignent l’industrie de la sextech, le design des produits est modifié et le matériel est modernisé, de plus en plus de sextoys sont un concentré des dernières technologies (intégration de produits hardware et d’applications mobiles, gamification, machine learning…) et l’achat en ligne a supprimé la barrière à l’essai en fournissant un accès libre à une large gamme de produits.
Le tabou autour de la sexualité est encore très présent
Bien que les mœurs tendent à changer, de nombreux tabous continuent d’entourer la sexualité. La plus grande barrière à l’entrée sur ce marché est de faire en sorte que les client surmontent le stigmate de considérer leur propre vie sexuelle ou de celle de leur partenaire. Chez les hommes, il est très mal vu d’utiliser des sextoys. Cela peut-être vécu comme une expérience “dévirilisante”. Quant aux femmes, de nombreux tabous continuent d’entourer leur sexualité et contribuent non seulement à l'émergence de mythes erronés sur le désir féminin mais aussi à un retard important dans la recherche. Il existe des centaines d'études sur le pourquoi et le comment de l'érection chez l'homme, alors que le clitoris n'a été entièrement cartographié qu'en 2009 ! lorsqu'un groupe de gynécologues français a pris l'initiative de le scanner en 3D.
D’autre part, c’est un secteur qui reste très mal vu des investisseurs et du monde du business au sein large. Le sextoy Osé, conçu par l’entreprise Lora Dicarlo pour reproduire “toutes les sensations de la bouche humaine, de la langue et des doigts” s’est vu décerner puis retirer le prix CES Innovation Awards for Robotics and Drones. Le CTA (Consumer Technology Association), l’organisation qui produit le CES, a en effet jugé cette innovation obscène et en désaccord avec son image. Les organisateurs ont fait volte-face à nouveau quelques mois plus tard en rétablissant le prix d'Osé et annonçant que la sextech serait exposée lors du prochain salon, dans la section "santé et bien-être".
Les entreprises de ce secteur ont aussi des difficultés à trouver des partenaires parmi les services d’emailing ou de paiement en ligne. Même Facebook les empêche de faire la promotion de leur produits.
Enfin, la plupart des banques et des fonds ne souhaitent pas les financer. C’est notamment le cas de BPI France et des fonds qui y sont liés, parce qu’ils assimilent tout ce qui a trait au bien être sexuel à de la pornographie.
Heureusement, ce n’est pas le cas de tous les fonds ! Certains investisseurs comme Backstage Capital ou XFactor Ventures, misent sur des sociétés du secteur : Dipsea, une application d’histoires audio érotiques a levé 5,5 millions de dollars auprès de Bedrock Capital et Thrive Capital en 2019 et Blueheart, une application qui propose des séances de thérapie sexuelle a levé 1 millions de dollars auprès de PROfounders Capital et Calm/Storm Ventures.
Conclusion
Il y a énormément de raisons d’investir dans la sextech dès maintenant. C’est un segment particulièrement resistant aux périodes de récession et dont la croissance est constante. De plus, la demande féminine de produits de bien-être sexuel augmente à mesure que la société déstigmatise le plaisir féminin. Enfin, la méfiance vis-à-vis des canaux de distribution traditionnels créé de véritables opportunités pour les plateformes technologiques. Avec l’augmentation de la vente directe au consommateur et du commerce en ligne, le public est plus sensibilisé aux entreprises sextech et aux nouveaux produits.
Les produits dédiés au plaisir ont été mal commercialisés pendant très longtemps. En créant des produits de qualité et en offrant un accès libre à l’éducation sexuelle, les startups de la sextech permettent à leurs clients de prendre soin de leurs propres corps, de leurs sexualités, sans tabou. Je pense que les gens en ont assez d'avoir l'impression que quelque chose d'aussi primaire et qui fait si profondément partie de l'être humain comme le sexe ne soit pas largement acceptée et ne fasse pas l'objet d'une attention et d'une éducation appropriées. Une véritable opportunité à saisir pour les acteurs de ce secteur !
Vous avez aimé cette newsletter ?
Partagez-moi vos feedback ainsi que vos recommandations pour les semaines suivantes sur LinkedIn ou en répondant à ce mail.
N'hésitez pas aussi à vous abonner au podcast First-time Founders.
Merci à Meryem, Chaimaa, Dan et Alice pour le feedback !
À dans deux semaines !
Ghita