Newsletter #9 - Les trottinettes électriques sont-elles victimes de leur succès ?
Bonjour à tous, je suis Ghita, étudiante à l’ENS. C’est durant mes stages en startups et en VC que j’ai eu envie de créer First-time Founders, un média qui décrypte les dernières tendances dans la tech, le monde du VC et l’entrepreneuriat.
Bonjour à tous !
Je suis Ghita et bienvenue dans la 9ème édition de la newsletter First-time Founders, le média qui démocratise l’entrepreneuriat et la tech.
Deux fois par mois, je propose à mes lecteurs une immersion au sein de l’écosystème tech et entrepreneurial avec des analyses sectorielles, des focus métiers, des réflexions autour de l’entrepreneuriat et bien plus encore.
Let’s go!
Au sommaire cette semaine :
🎤L’épisode 17 de First-time Founders avec Yassine Tahi, le fondateur et CEO de Kinetix, un outil SaaS qui permet aux créateurs de transformer n'importe quelle vidéo en une animation 3D en utilisant du deeplearning.
🎮 Les trottinettes électriques sont-elles victimes de leur succès ?
Quelle est la taille du marché mondial des trottinettes en libre-service ? Qui sont les acteurs qui opèrent sur ce marché ? Quel usage est fait de ce nouveau modèle de déplacement ?
Quelles sont les limites économiques, environnementales et sociétales inhérentes au modèle des trottinettes électriques en libre-service ?
Comment les opérateurs de trottinettes peuvent-ils surmonter les difficultés de ce modèle pour assurer leur durabilité dans le temps ?
First-time Founders : L’épisode 17 est là !
Pour cet épisode, j’ai le plaisir d’accueillir Yassine Tahi, le cofondateur et CEO de Kinetix.
Dans cet épisode vous allez entendre le parcours impressionnant de Yassine, depuis le Maroc ou il a grandi jusqu’au lancement de Kinetix en passant par ses stages et ses premiers jobs.
Yassine nous parle de l’écosystème marocain, de son job chez 212 Founders à Casablanca mais aussi du programme Entrepreneur First, de sa rencontre avec son cofondateur et de sa toute dernière levée de fonds de 500 000 euros.
Cet épisode est une véritable mine d’or pour tous ceux qui souhaitent monter une boite et ne savent pas comment s’y prendre.
✅ Alors foncez l’écouter !
Les trottinettes électriques : victimes de leur succès ?
L’usage des services de micro mobilité partagée n’a cessé de croître depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, ces services sont disponibles dans 85% des villes françaises de plus de 100 000 habitants et représentent 70 000 véhicules d’après le baromètre Fluctuo d’octobre 2020. Ceux-ci comprennent 56 % de vélos en libre-service en station, 26 % de trottinettes, 6 % de scooters, 9 % de voitures et 3 % de vélos en free floating.
La micro mobilité connait un essor fulgurant. Les véhicules de micro mobilité se présentent comme une alternative aux modes de déplacement plus classiques (marche à pied, transport en commun et voiture), plus rapide et plus respectueuse de l’environnement.
La trottinette électrique est devenue peu à peu le véhicule incontournable de la micro mobilité. Aucun moyen de mobilité partagé n’avait suscité autant d’engouement. Ce qui semblait être une mode passagère au début se révèle être un phénomène durable. On dénombre aujourd’hui près de 16 000 trottinettes électriques dans les rues de la capitale.
Sur les trottoirs ou sur la route, leur irruption dans l’espace public soulève néanmoins quelques questions. Retour sur (i) le boom de la trottinette électrique, (ii) les enjeux et (iii) perspectives du secteur.
Le marché mondial des trottinettes en libre-service : un marché en plein essor et ultra concurrentiel
Selon une étude du BCG en 2019, le marché mondial de la trottinette était estimé à plus de 1,5 Md$. Ce marché pourrait même atteindre 40 à 50 Md$ en 2025.
Le BCG l’estime d’ici 2025 de 12 à 15 Md$ de dollars aux États-Unis comme en Europe, de 6 à 8 Md$ en Chine et de 10 à 12 Md$ dans le reste du monde.
Les trottinettes électriques représenteraient à cet horizon environ 15 % du marché global de la mobilité motorisée à la demande.
L’essor rapide de ces véhicules répond ainsi au besoin grandissant du public de se déplacer rapidement dans des villes de plus en plus encombrées. Environ 35 % des trajets en trottinette font moins de 2 kilomètres, et 75 % d’entre eux moins de 10 km, observe le BCG. Les trottinettes électriques sont généralement utilisées pour des trajets allant de 0,5 à 4 km, ce qui équivaut à marcher pendant 5 à 45 minutes.
Pour en savoir plus les usages et usagers de ce nouveau mode de déplacement, je propose de vous présenter les points clés d’une enquête réalisée par 6t-bureau auprès de 4000 usagers de trottinettes en libre-service en avril 2019 :
Les usagers des trottinettes partagées sont majoritairement des hommes (66%), présentant des niveaux de vie globalement plus élevés que la population française prise dans son ensemble (2 500 € contre 2 202 € pour l’ensemble de la population parisienne). Plus de la moitié des usagers de trottinettes en libre-service a moins de 35 ans avec un âge moyen de 36 ans. Les étudiants représentent quant à eux 19% des usagers locaux.
7% des usagers louent une trottinette en free-floating presque tous les jours.
Les principales motivations à l’usage de ce nouveau mode de transport sont sa rapidité et son caractère ludique pour 69% des répondants.
42 % des usagers sont des visiteurs et en grande majorité des touristes étrangers.
Pour faire face à une demande de plus en plus grandissante, de nombreuses startups se sont lancées dans la mise en circulation de trottinettes électriques en free-floating.
Les plus grands noms du marché, comme Lime ou Bird, ont levé des centaines de millions de dollars pour inonder les villes avec leurs engins. D’autres acteurs, plus petits, comme Pony, essayent également de se faire un nom sur ce marché où la concurrence fait rage.
Vous trouverez ci-dessous un tableau récapitulatif des principaux acteurs du marché.
Un modèle qui présente des limites économiques et environnementales
Si le marché des trottinettes électriques semblait initialement très prometteur et que les flottes de trottinettes ne cessent de se multiplier dans toutes les grandes villes de la planète, le modèle présente toutefois certaines limites que j’ai décidé de classer en 3 catégories.
Un modèle économique non rentable
Il faut au minimum 4 mois d’exploitation pour que les opérateurs puissent amortir le coût d’acquisition d’une trottinette, qui comprend non seulement le coût d’achat mais également celui de maintenance, de collecte, de recharge des batteries et de répartition des flottes. Or, la durée de vie moyenne d’un engin en libre-service est de 3 mois seulement. L’usage intensif, la manipulation brutale et le vandalisme que les utilisateurs leur infligent réduisent considérablement leur durabilité.
Le BCG estime le prix moyen d’une course à 3,5 $. Après déduction de toutes les charges, l’opérateur de trottinettes électriques génère une marge sur coût variable de 0,65 $ par trajet, ce qui représente alors 3,25 $ par jour et par trottinette pour une moyenne de 5 courses quotidiennes. D’après le BCG, il faut 115 jours (3,8 mois) pour atteindre le seuil de rentabilité d’une trottinette et amortir son coût d’acquisition, une durée supérieure à sa durée de vie moyenne.
Les coûts les plus importants aujourd’hui sont liés aux opérations et à la recharge de batteries. Chaque jour, les opérateurs collectent les trottinettes, les transportent vers une installation centrale pour le chargement des batteries, l'entretien et les réparations, puis les redistribuent pour le lendemain. Pour tenter de réduire ces coûts considérables, certains opérateurs font appel à des “juicers”, des autoentrepreneurs chargés de collecter et recharger les engins. Une trottinette rechargée peut leur rapporter entre cinq et dix euros. Depuis quelques mois maintenant, les entreprises installées à Paris n’ont plus recours aux services des juicers. La recharge des trottinettes en libre-service est désormais assurée par des professionnels recrutés en interne ou par des prestataires.
D’autre part, en raison du peu de différenciation entre les différents acteurs du marché, la concurrence se fait sur la disponibilité des engins. L’opérateur qui réussit à accaparer la plus grande part de marché est celui qui déploie la flotte de trottinettes la plus large, ce qui fait non seulement baisser le taux d’utilisation et donc les recettes mais nécessite aussi de lever des sommes d’argent très importantes (voir tableau plus haut).
Enfin, avec la baisse du prix des trottinettes électriques, il est fort à parier que les utilisateurs les plus fidèles investiront dans leur propre trottinette pour des raisons économiques. Un manque à gagner possiblement important pour les opérateurs.
Un impact environnemental conséquent
La pollution atmosphérique émise principalement par le trafic routier cause environ 48000 décès chaque année en France. Les trottinettes électriques présentent des avantages écologiques dans la mesure où elles n’émettent pas de polluants atmosphériques et contribuent à la réduction de l’encombrement sur la chaussée, des embouteillages et des nuisances sonores en favorisant le report modal sur les engins.
Toutefois, l’usage de ces véhicules n’est pas sans conséquences sur le bilan carbone des villes. Selon une étude publiée dans le journal Environmental Reseach Letters, ce n’est pas tant le rechargement électrique de la trottinette qui pose problème mais sa conception (cadre en aluminum et batterie en lithium-ion dont le bilan carbone est très lourd) et les moyens déployés pour aller récupérer les trottinettes sur l’espace public pour les recharger et les réparer hors-site (camions roulant au diesel). L’autre défaut de ces engins est leur usage. L’étude révèle que dans deux tiers des cas, ils remplacent le métro et le RER et, dans un quart des cas, se substituent à la marche à pied et au vélo. Il est très rare qu’ils remplacent la voiture.
Une étude réalisée par Arcadis en novembre 2019 montre qu’une trottinette émet à Paris, en moyenne sur son cycle de vie, un peu plus de 105 g d’équivalent CO2/km/usager. Plus de la moitié de ce chiffre provient de la fabrication et du transport et plus d’un tiers de l’exploitation. Une autre étude publiée en novembre 2020 dans le Journal of Cleaner Production, montre que les trottinettes électriques en circulation dans la capitale française ont émis à elles-seules 13 000 tonnes de CO2 en un an, ce qui équivaut aux émissions annuelles de 16 000 français.
Une adoption sociétale encore difficile
Dans de nombreuses villes, la croissante fulgurante des flottes de vélos électriques s’est transformée en anarchie. La trottinette qui jouissait alors d’une perception ludique, pratique et écolo, suscite désormais irritation et rejet. À Paris, 6 personnes sont mortes dans des accidents en 2018. Les fractures, entorses et piétons renversés étant devenus trop fréquents en ville, le gouvernement français a décidé de frapper fort en interdisant sur les trottoirs, depuis septembre 2019, la circulation des engins électriques de types monoroues, hoverboard ou trottinettes électriques. Le décret trottinette rédigé par le ministère des Transports interdit également de circuler avec un engin dont la vitesse maximale n’est pas limitée à 25 km/h. Pas question aussi de rouler en dehors des agglomérations, sauf s’il existe une piste cyclable ou des voies vertes. Enfin, le stationnement sur les trottoirs des trottinettes en libre-service est interdit à Paris sous peine d’une amende de 49€.
Pour éviter la fronde de la population qui voit les trottinettes d’un mauvais œil, certaines villes françaises ont tout bonnement refuser de délivrer les titres qui permettront aux opérateurs de trottinettes électriques de déployer leurs flottes. C’est le cas notamment de Toulouse ou Rennes. D’autres villes ont décidé de mettre en place des appels d’offres pour ne retenir que les opérateurs qui répondent à leur cahier de charges. Paris a fait le choix cet été d’accorder des licences à Dott, Lime et Tier. Tous les trois ont été ainsi autoriés à déployer 5000 engins chacun, durant la totalité du contrat signé avec la ville, soit deux années. L'appel d'offres établissait trois critères de sélection : la « responsabilité environnementale » (40% de la note), la sécurité des usagers (30%) et enfin la « gestion, maintenance et recharge » du parc de trottinettes (30%). Les candidats étaient aussi encouragés à présenter un système logistique fonctionnant avec des véhicules propres, alimenté par de l'énergie renouvelable, et à proposer des trottinettes durables et facilement recyclables. Le grand perdant de cet appel d’offre est l’américain Bird qui avait non seulement commencé à faire des investissements autour de la présence de ces engins dans la ville mais qui a également installé son hub européen à Paris.
Un peu d’espoir sur le champ de bataille
Le modèle actuel des trottinettes électriques présente certaines limites. Pour surmonter les difficultés inhérentes à ce modèle et assurer leur durabilité dans le temps, plusieurs stratégies s’offrent aux opérateurs :
Repenser le modèle économique :
Pour se différencier et tenter de fidéliser leurs clients, certains opérateurs ont opté pour des forfaits à la journée et au mois qui suppriment les frais de déverouillage des apparareils. Voi a par exemple lancé un abonnement illimité sans aucun frais additionnels pour 39€ par mois. Pony, la pépite française des trottinettes électriques, propose un modèle très innovant puisqu’elle permet à ses utilisateurs d’acheter un vélo ou une trottinette tout en le laissant en libre-service pour empocher la moitié du prix de la course. A partir de 220€, les consommateurs ont ainsi la possibilité « d’adopter un Pony » , les vélos ou trottinettes conçus et produits par la marque. Ils ont ensuite la possibilité soit de le garder pour leur usage personnel, soit de le laisser en libre-service et de percevoir la moitié du prix de la course. L’application leur permet de garder un oeil sur leur Pony, suivre son activité et détecter le moindre problème – couvert par une garantie de 18 mois.
Mettre en place des partenariats clés :
Avec les mairies : Pour renforcer l’acceptabilité sociale des trottinettes, éviter les problèmes de stationnement en amont du déploiement et réglementer ce secteur aux pratiques de plus en plus anarchiques, les opérateurs ont tout intérêt à travailler en étroite collaboration avec les collectivités . Avant d’instaurer un appel d’offres, une charte de bonne conduite a été signée le 13 mai 2019 par la Ville de Paris et les 11 principaux opérateurs qui y déployaient leurs engins. L’objectif : que les services de trottinettes électriques partagées sans stations se déploient dans des conditions respectueuses des autres usagers de l’espace public.
Avec d’autres acteurs de la mobilité : Pour le BCG, la question du partenariat avec d’autres acteurs de la mobilité semble nécessaire à la survie des opérateurs de trottinettes. «Étant donné que les trajets en trottinette électrique peuvent compléter d’autres modes de transport, il serait plus pratique et plus avantageux de regrouper les services dans une seule application. L’utilisateur aurait alors une seule source à visiter pour se rendre du point A au point B: un guichet unique pour la planification, la réservation et le paiement de son voyage». Dans certaines villes, Uber est maintenant une plateforme multimodale qui propose des vélos et des trottinettes électriques via la même application qui permet aux clients de réserver un trajet en voiture. Paris utilise depuis longtemps la même approche tout-en-un, en reliant le RER et le métro au système de vélos en libre-service Velib’ à travers la carte navigo.
Responsabiliser les usagers :
De nombreux actes de vandalisme ciblant ces engins électriques ont lieu notamment dans les grandes villes comme Paris et Lyon : des trottinettes sont sabotées afin de les immobiliser en recouvrant le QR code de peinture, d’autres sont lancées dans la Seine ou le Rhone. Pour pallier à ce problème, Pony responsabilise ses utilisateurs en les rendant propriétaires de leurs trottinettes. L’entreprise se base sur des expériences réalisées en Angleterre, qui ont prouvé que les véhicules particuliers sont moins victimes d'actes de vandalisme que les autres : « Le fait que les vélos appartiennent à quelqu'un et que cela soit indiqué lors de la location dissuade les utilisateurs de les dégrader », précise le fondateur de l’entreprise. Et d'affirmer : « Les actes de vandalisme sur ce type de véhicules ont été divisés par deux à Angers », depuis l'arrivée de Pony Bikes en octobre 2017.
Améliorer la gestion des coûts :
La question cruciale du modèle économiques des opérateurs est le coût quotidien de la gestion des opérations et du rechargement électrique. Selon le BCG, la réduction de ces coûts à un niveau bien inférieur à 50 % du chiffre d’affaires sera essentielle pour la rentabilité.
Booster la durabilité du produit :
Il est important que les opérateurs parviennent à améliorer la robustesse et l’autonomie des trottinettes pour leur assurer une durabilité plus importante. Les trottinettes sont aujourd’hui peu résistantes de manière générale. Le BCG estime qu’avec une durée de vie d’au moins six mois, les trottinettes pourraient générer des bénéfices. Certains opérateurs oeuvrent dans ce sens pour optimiser leurs batteries. Pony travaille par exemple avec la société SNAM pour recycler les batteries de ses véhicules. La startup s’est également associée depuis peu à une société bordelaise, Gouach pour disposer en exclusivité d’une nouvelle génération de batteries dont la durée de vie pourrait dépasser les 10 ans. Un réel progrès par rapport aux batteries qui équipent actuellement trottinettes et vélos à assistance électrique. Cette nouvelle génération de batteries va également permettre réduire l’empreinte carbone de 52% en moyenne.
Conclusion
Malgré leurs inconvénients, les trottinettes jouent un rôle important dans la mobilité urbaine pour lutter contre les problèmes de congestion et de pollution des villes. Toutefois, les nuages s’amoncellent au-dessus du secteur. Les opérateurs qui mettent en place des stratégies pour lutter contre les difficultés inhérentes à ce marché sauront tirer leur épingle du jeu.
Ce qui est certain, c’est que la micro-mobilité va avoir une place dans nos déplacements. Et quand la route sera saturée, nous effectuerons peut-être nos trajets en taxis-drones électriques, qui sait ? Seul l’avenir nous le dira.
Et vous, comment voyez-vous évoluer la mobilité dans les années à venir ?
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Ghita